jeudi 1 mai 2014

Recherche enracinée dans le contexte ou hot topics ?



27 avril 2014
Nizar Mansour a écrit le message suivant:
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Bonjour collègues. La recherche en sciences de gestion évolue depuis quelque temps, on le sait, selon une logique d’exploitation. Peu de place est laissée à l’exploration de nouveaux thèmes. La remise en cause des « fondamentaux » théoriques et méthodologiques est une affaire peu attractive, voire potentiellement dangereuse. Preuve : le courant des « études critiques en management » reste peu attractif et ses principes de base sont rarement mobilisés dans les recherches actuelles. Standardisation (d’autres, plus critiques, diraient marchandisation) de la recherche, logique de carrière, discipline imposée par l’appartenance aux réseaux sont autant de facteurs expliquant pourquoi aujourd’hui en sciences de gestion, les recherches se suivent et se ressemblent. Une façon d’échapper à ce déterminisme serait, peut-être, de contextualiser davantage les thèmes abordés, quitte à perdre en accessibilité au « marché de la publication ». Dans mon domaine de recherche (GRH), nous continuons à aborder des problématiques typiquement occidentales dont les résultats ne concerneraient qu’une infime partie des entreprises installées en Tunisie. Pourtant il y a une chance extraordinaire que nous contribuions aujourd’hui aux thématiques brulantes de nos entreprises tunisiennes: productivité, absentéisme, restructurations, GRH post-transition, etc. Autant de pistes de recherche qui tardent à être adoptées car tout simplement peu appréciées sur, encore une fois, ce « marché de la publication ». Nous avons tous, à un moment ou à un autre, eu affaire à un évaluateur qui nous demande de mettre du « contexte » dans nos discussions, dire en quoi c’est authentique et en quoi c’est différent de ce qui est écrit ailleurs. On s’efforce d’imbriquer des éléments de culture, de religion, d’histoire pour certains, au milieu des alphas et des betas. Je trouve cette attitude moche et l’exercice ridicule et faux. C’est carrément de la fabrication. A mon avis, le contexte gagnerait à être déplacé en amont du processus de recherche. Le contexte devrait être non seulement le point de départ du projet de publication, mais son objet et sa finalité ultime. A méditer ….
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8 commentaires:

Mourad Touzani a dit…

27 avril 2014
Fatma Smaoui a écrit le message suivant:
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Tout à fait d'accord avec toi Nizar. Je continue à penser que c'est beaucoup plus salutaire, et utile pour le pays, pour le plaisir du chercheur et pour la recherche en Tunisie de travailler sur des problématiques propres à nous, ce qui nous mènera à imaginer des solutions, propositions et modèles de comportements adaptés à notre contexte et pourquoi pas à innover... car c'est comme ça qu'on innove, quand on cherche des solutions qui n'existent pas encore et quand on montre l'échec de formules "importées" d'ailleurs, notamment des pays "développés". La condition pour que ça réussisse, c'est de créer de espaces de publication propres à notre contexte (tunisiens, maghrébins, africains...) de qualité et crédibles et qui visent le classement international. Car tant que la promotion au grade se fait sur la base de publications dans des revues classées selon les normes occidentales, la publication d'articles portant sur le contexte spécifique de la Tunisie sera difficile. Personnellement, je n'ai pas cessé d'avoir la remarque de l'éditeur et des évaluateurs de revues internationales sur le manque d'intérêt du contexte tunisien, et la nécessité de la justification de son utilisation.... en fait c'est comme si on me demandait pourquoi je parle tunisien.... c'est normal que je travaille sur la Tunisie non ??!!!
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Mourad Touzani a dit…

27 avril 2014
Anissa Ben Hassine a écrit le message suivant:
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Je partage tout à fait. Effectivement, pourquoi ne pas ressusciter une revue tunisienne des sciences de gestion en ligne pour diminuer les coûts.
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Mourad Touzani a dit…

27 avril 2014
Nawel Ayadi a écrit le message suivant:
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La recherche est par essence une question de curiosité voire de passion, donc, que l'on travaille sur la Tunisie, la France, la Chine ou le Bengladesh, l'essentiel est de creuser des topics originaux, porteurs, innovants et utiles. L'accès au terrain fait qu'il est plus facile pour nous de travailler sur les cas tunisiens, mais les outils technologiques modernes couplés aux possibilités de collaborations internationales nous permettent fort heureusement de sortir de notre cadre "limité"...Les deux pistes sont donc envisageables et peuvent être toutes les deux bénéfiques au pays
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Mourad Touzani a dit…

27 avril 2014
Mohamed-Slim Ben-Mimoun a écrit le message suivant:
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Je suis d'accord qu'il est important de publier des travaux qui portent sur le contexte tunisien mais je pense que ça ne sert absolument à rien de le faire dans des revues tunisiennes ... Le plus grand problème de la recherche en Tunisie est le manque de visibilité et ce n'est pas en publiant dans des revues tunisiennes lues uniquement par des Tunisiens que le problème sera résolu ... D'ailleurs, des revues internationalement reconnues qui sont friandes de cas spécifiques aux pays émergents :elles sont plusieurs. Le tout et de savoir comment bien vendre nos recherches pour bien cadrer avec ces revues et accepter que publier dans une bonne revue peut être un processus long et pénible qui peut parfois prendre plusieurs années sans garantie de résultats ...
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Mourad Touzani a dit…

27 avril 2014
Rym BenHalima a écrit le message suivant:
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Absolument d'accord. Reste que la condition sine qua non de l'orientation vers cette voie serait l'actualisation des critères d'évaluation accolés aux publications tunisiennes par les divers jurys. Exiger des publications dans des revues internationales indexées n'est pas pour encourager d'aborder des voies utiles pour les problématiques locales. Il faudrait commencer par accepter les publications dans les revues tunisiennes et autres. En Marketing, par exemple, il y a des revues marocaines fort intéressantes et fort sérieuses.
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Mourad Touzani a dit…

27 avril 2014
Mohamed-Slim Ben-Mimoun a écrit le message suivant:
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Il y a une revue marocaine à ma connaissance et ça revient au même de publier dans cette revue ou dans des revues tunisiennes ... Le problème n'a jamais été de publier dans les revues locales mais de publier des articles qui parlent du contexte tunisien dans des revues indexés... Cela est possible et ça a déjà été fait par plusieurs de nos collègues... Le tout est de savoir quelle revue cibler selon les données qu’on possède, d'adapter la revue de littérature et le style d'écriture à la revue et surtout de très bien gérer le processus de reviewing... J’ai déjà vu des collègues abandonner une bonne revue bien indexée après un Revise And Resubmit et envoyer l'article à une revue pas du tout reconnue ... Il y a derrière les exigences de passage de concours, mais sur le moyen termes c'est nuisible pour sa propre carrière et pour la reconnaissance de la recherche tunisienne de privilégier les revues non indexées au détriment de celles reconnues juste pour gagner du temps ...
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Mourad Touzani a dit…

28 avril 2014
Nizar Mansour a écrit le message suivant:
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Je suis entièrement d’accord avec Slim sur la possibilité de publier des cas tunisiens dans des revues indexées. Effectivement, un ciblage rigoureux et « réaliste » de la revue et une gestion « obéissante et disciplinée » du processus de révision peuvent faciliter l’entreprise. Maintenant, au-delà de toutes les interrogations pertinentes que les collègues ont soulevées, le vrai danger de la faible contextualisation à mon avis est que nous continuions à restituer des résultats en rupture avec la réalité du terrain et donc d’une utilité extrêmement faible pour les managers. Le monisme théorique et méthodologique qui marque le monde de la publication fera en sorte aussi que (1) nous évitons de toucher aux évidences et (2) nous sommes forcés d’orienter nos problèmes de recherche vers des segments potentiellement intéressants pour les éditeurs. Je donne un petit exemple du domaine des RH. Le sous-champ du management stratégique des RH s’est développé depuis 1992 avec un agenda de recherche autour, grosso modo, de la question suivante : pourquoi et comment la GRH contribue-t-elle à la performance des organisations ? C’était en quelque sorte une réponse de la communauté à la crise de légitimité de la GRH (comme champ de production de connaissances mais aussi comme fonction managériale). Depuis un quart de siècle, toutes les questions ont pratiquement été résolues et les validations empiriques accumulées. Très rares sont les recherche qui ont conclu à un effet négatif de la GRH sur la performance. Le papier publié en 1994 par Lado et Wilson dans l’Academy of Management Review, a pourtant ouvert la voie, très tôt, aux chercheurs pour étudier ce qu’ils appelaient à l’époque « HR destructive capabilities ». Personne n’a voulu profiter de cette petite brèche et la majorité des chercheurs ont préféré le privilège de la « predictability ». Apres un quart de siècle, nous continuons à enfoncer des portes ouvertes. En Tunisie (le contexte encore une fois), si vous orientez votre terrain vers les entreprises publiques, vous allez obtenir des résultats très proches de la philosophie « destructive capabilities » et qui contredisent la littérature. Dans le secteur bancaire tunisien, vous trouverez une mine d’or, une chance inégalée pour prouver aux gardiens de la Performance-based compensation que la rémunération au mérite (ou ce qu’est supposée en être une forme) n’est pas systématiquement liée à performance des individus et de l’organisation. C’est cela, à mon avis, le gâchis qui résulte de la faible contextualisation de la recherche : passer à côté de quelque chose de très utile pour l’entreprise et pour la recherche.
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Mourad Touzani a dit…

28 avril 2014
Dhouha Rhodesly a écrit le message suivant:
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Bonjour Nizar Mansour. Contente de te lire. Je suis totalement d'accord avec ta réflexion et celle des collègues. Je voudrais juste attirer l'attention sur un point : c'est que ça ne fait qu'environ une dizaine d'années que le corps enseignant en sciences de gestion (je ne parle pas des méthodes quantitatives) est entré dans la "machine" de la publication scientifique et, de surcroît, à impact factor (et encore ça ne fait que quelques années que ce critère est pris en compte). A ce stade, je doute fort qu'on soit arrivé à un stade de maturité scientifique qui permette de prendre du recul et d'oser innover (dévier du modèle classique de la recherche scientifique ou du mimétisme scientifique). Je pense qu'il faut du temps pour ça, le temps de digérer cette phase de "légitimité" (dans laquelle nous nous situons aujourd'hui) vis-à-vis de nous-même et vis-à-vis du Centre (pour reprendre le terme de Samir Amine) en l'occurrence l'Occident.
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